Audrey Azoulay - Directrice de l'UNESCO
L'éducation est l'atout le plus puissant dont nous disposons pour susciter des améliorations significatives en matières de santé, stimuler la croissance économique et débrider le potentiel et l'innovation dont nous avons besoin pour bâtir des sociétés plus résiliantes et durables.
Texte publié le 15 janvier 2009 sur Café pédagogique
Pourquoi innover l'école ?
"Le sentiment d'une crise majeure de l'éducation, dans nos sociétés modernes est aujourd'hui à peu près unanimement partagé. L'éducation, au coeur de la construction humaine, est appelée à se repenser, se refonder, inventer de nouvelles pratiques et en particulier à l'école, si elle veut sortir des contradictions et des impasses auxquelles elle se trouve aujourd'hui confrontée. Cette perception d'un état de crise de l'éducation et de l'enseignement ne date pas d'hier, ni même de l'après-mai 1968. Tout le XXème siècle est parcouru par la perception, le constat ou l'annonce de cette crise comme exprimant ou accompagnant la crise de civilisation des sociétés occidentales."
Ce texte n’est pas d’aujourd’hui, il date de 2002 ; il est extrait de "Pour une politique de civilisation", d'Edgar Morin.
Donner le maximum à chacun au lieu de se contenter de donner le minimum à tous.
Il s’agit dès lors de sortir des habitudes, et notamment du corporatisme disciplinaire, pour se demander quels sont les savoirs vraiment « porteurs » pour un jeune d’aujourd’hui, afin de lui permettre de comprendre et de vivre dans une société en mutation qui doit rester démocratique.
D’évidence, apprendre à écrire reste un objectif prioritaire, mais pas en se limitant à la seule dissertation. Faire un rapport, réaliser une note, établir une synthèse, savoir prendre des notes, écrire un article, développer un argumentaire ou une intrigue sont autant de passages obligés. Dans le même temps, apprendre à parler, à argumenter, à prendre du recul, à être critique, à être curieux, à avoir une bonne estime de soi et à entreprendre sont tout autant indispensables.
Au-delà de ces bases inévitables que ne propose pas ou si peu le lycée actuel, le jeune reste tout autant illettré s’il n’a pas appris à rechercher, trier et à critiquer l’information, y compris visuelle, s’il ne s’approprie pas un optimum de savoirs sur le droit – ne vit-on pas dans une société de droit-, sur l'économie ou sur l'éthique. Pourquoi attendre la terminale pour commencer la philosophie ?
Désormais, il faut comprendre l’autre différent, gérer des conflits, changer son regard sur le monde, pourquoi l’anthropologie n’est-elle pas présente ? 9 enfants sur 10 habitent la ville, pourquoi n’apprennent-ils pas les bases de l’urbanisme pour lire leur cité ?
De même, pourquoi la sociologie, la psychologie, l'analyse des institutions, l'histoire des idées ne sont-elles toujours pas au programme des lycées ?
Tous ces savoirs sont tous indispensables pour comprendre notre époque, au même titre que la culture des techniques ou de la production industrielle, toujours dévalorisée, méprisée, alors que les objets et la consommation envahissent nos vies. Pouvoir les décoder intelligemment, en décoder les usages et les limites font partie du bagage de base...
Toutefois, tout n’est plus que contenus et contenu disciplinaire ; des savoirs transdisciplinaires sont à introduire, des savoirs organisateurs sont à définir pour éviter l’émiettement des connaissances. Les démarches, comme l'analyse systémique, la pragmatique, la modélisation sont des outils tout autant nécessaires pour décoder un monde complexe et incertain. Et pourquoi pas renouveler la rhétorique, tant il est important de communiquer et de convaincre.
Vers une société apprenante
Enfin l’apprendre, pourquoi n’est-il pas non plus au programme ? Cette immense lacune est reconnue de tous, apprendre à apprendre n’a rien d’évident ; elle n’est pas une retombée automatique des autres apprentissages. Pendant ce temps, d’autres savoirs continuent à être enseignés, uniquement pour… l'examen, par habitude, comme beaucoup de savoirs mathématiques inutiles !
Dans cette discipline, beaucoup de savoirs algorithmiques seraient à évacuer ; leur apprentissage gaspille un temps énorme alors que la plupart d’entre eux bloquent, et l’imaginaire, et la pensée...
Il faudrait peut être davantage expérimenter et réfléchir plutôt qu'enseigner. Créer des situations et rééquilibrer la balance. Pratiquer bien entouré plutôt que gaver. Bien gérer le surplus, trier, analyser et critiquer. Pendant longtemps nous étions limité quant à la façon dont il était possible de transmettre à des millions de personnes mais aujourd'hui la technologie et les avancés en neurosciences aident doucement à briser ces barrières. Personne n'a jamais tout juste ou tout faux quand il s'agit de transmettre ou apprendre. Parce que l'humain est fait de trop de nuances pour qu'une seule manière ne fonctionne mais on peut essayer de trouver une ligne directrice. Et c'est en considérant notre facette d'humain avec notre vecu, notre ressenti, notre façon unique de grandir et non uniquement notre capacité à engranger de l'information que nous ferons de l'humanité de demain, une humanité meilleure.